COLLOQUE INTERNATIONAL
AIX-MARSEILLE 27, 28, 29 Mars 2014
Villes en Méditerranée au Moyen
Âge et à l’époque moderne
« La ville comme laboratoire des sociétés
méditerranéennes »
Appel
à communications
Les propositions de communications doivent
être adressées avant le 10 juillet 2013 par courrier électronique (malamutelisabeth@yahoo.fr). Elles
doivent être accompagnées d’un résumé d’une page, à défaut duquel il ne sera
pas possible de les prendre en compte. Le comité scientifique fera connaître
début octobre les contributions retenues.
Argumentaire scientifique
Le titre mérite explication : il s’agit de
concilier l’histoire de la Méditerranée et l’histoire des villes. On se
demandera s’il y a une spécificité méditerranéenne à l’histoire des villes. La
problématique se fonde sur l’articulation époque médiévale - temps moderne
selon trois concepts : adaptation, transformation et/ou rupture. Elle sera
présente dans les différents champs sémantiques envisagés : l’espace, les
activités, l’urbanisme/l’urbanisation/, le temps, la culture. C’est encore un
autre aspect d’une histoire urbaine qui a alimenté nombre d’études depuis Lewis
Mumford (La Cité à travers l’histoire,
Paris, Seuil 1964).
1) L’espace
La ville est un ensemble matériel et immatériel
produit par une société vivant dans un environnement particulier temporel
et spatial (Les villes et le monde, Du
Moyen Âge au XXe siècle, éd. M. Acerra et alii., PUR, 2011), qui implique une diversité d’expériences
historiques : divergent-elles ou convergent-elles dans la longue
durée ? Y a-t-il une spécificité de l’espace méditerranéen ?
L’opposition Nord-Sud est-elle pertinente et se conjugue-t-elle avec
l’opposition supposée Ouest-Est ?
On
rappellera les trois zones de l’époque médiévale : la méditerranéenne (la civitas se perpétue), l’européenne du
Nord-ouest (la civitas et le portus), la germanique et anglaise (la
ville née des marchands). Ces critères, largement périmés à l’époque moderne,
perdent de leur sens à l’époque médiévale entre les villes byzantines qui se
transforment à partir des structures de la ville romaine et les villes
musulmanes qui naissent de rien ou presque. Dans l’Occident médiéval chrétien
coexistent également des types de villes et de civilisations urbaines
différentes (emporia; castra). Quel fut le devenir de ces
différents types urbains à l’époque moderne : y a-t-il eu adaptation à
l’existant ou transformation et rupture ? Se produit-il une fracture à
l’époque moderne qui serait désormais pérenne et en lien avec une relative
déchéance ou marginalisation économique de l’espace méditerranéen ?
Faut-il dater du XVIe siècle ce premier fossé nord-sud alors que les
villes prospères ‑ Lyon, Anvers, Séville et Lisbonne ‑ prennent la place
occupée jadis par Gênes ou Venise. La question débouche bien évidemment sur
l’étude de leurs activités. Peut-on alors considérer qu’il y ait des réseaux
spécifiques et des hiérarchies s’appuyant sur des réalités distinctes :
plus économiques au Nord, encore « médiévales » au Sud ou bien,
au contraire, y eut-il perméabilité voire uniformisation ?
Il conviendra toutefois de faire intervenir un autre
paramètre, politique cette fois avec l’intégration des villes à l’époque
moderne dans un système politique, celui des États. Mais alors que dire des
cités-États italiennes qui traversèrent
époques médiévale et moderne? Que dire des villes « capitales » en
Méditerranée : Rome a donné l’exemple d’une mondialisation, d’une
assimilation de la ville à la civilisation, comme Constantinople-Istanbul ?
Comme Cordoue? Mais ailleurs y eut-il de véritables capitales médiévales dans
l’espace méditerranéen ou est-ce le prince qui fit des villes des
capitales à l’époque moderne ? Concevoir des degrés de « capitalité »
[Voir Les Villes capitales au Moyen Âge,
2006]. Y a-t-il une spécificité méditerranéenne dans les capitales
multiples ?
Peut-on finalement distinguer une « Méditerranée
urbaine » distincte d’une « Europe urbaine » ? Compte tenu
de milliers d’agglomérations différentes par leurs origines, leurs formes,
leurs fonctions, leur nombre d’habitants, la superficie de leur territoire infra et extra muros ? Il faudra définir des critères qui puissent en
rendre compte. Si l’on considère la démographie urbaine et son évolution, en
particulier les grandes villes, force est de reconnaître qu’il y en a autant au
Sud qu’au Nord à l’époque moderne. Cette résistance du Sud méditerranéen urbain
n’est-elle pas à souligner ? Observe-t-on des différences entre le Nord et
le Sud au niveau des comportements démographiques et de la mobilité des
hommes ?
Une histoire des villes renvoie à une approche
géographique, morphologique, topographique, climatique qui invite à nous
interroger sur les îles considérées
comme villes, ce qui est une spécificité largement méditerranéenne ;
ainsi, des îles de la Méditerranée orientale ont une ville de même nom :
Rhodes, Samos, Kos, Corfou, etc. Les récits des voyageurs, les archives
insulaires, les correspondances consulaires permettront de pointer des activités,
des réseaux pour ces « îles-villes » qui connaissent nombre de
continuités entre les périodes médiévale et moderne.
2) Les dimensions économiques de la ville
Plus
classique cet axe n’en est pas moins essentiel dans notre questionnement, car
les activités ont hiérarchisé les réseaux et structuré socialement les villes.
Il s’agira d’étudier la ville comme centre d’échanges et de se demander depuis
quand ces fonctions sont étroitement mêlées. Certes, si les marchés et les
ports sont une permanence depuis la ville antique dans l’espace méditerranéen,
des portus se greffent sur la ville à
l’époque médiévale et les emporia,
ces villes carrefours vers l’an 1000, sont dans l’espace méditerranéen :
villes italiennes, villes musulmanes, Constantinople. Pourtant la ville médiévale
n’est-elle pas définie partout à partir du XIVe siècle par sa
fonction économique ? Peut-on dire alors que la spécificité de l’espace
méditerranéen s’estompe ?
Une seconde approche consistera à saisir la ville à
travers ses populations et ses activités :
le passage des villes structurées socialement par les métiers qui réglementent
les activités urbaines au Moyen Âge à leur abandon progressif à l’époque
moderne (qui connaît néanmoins l’affirmation de structures professionnelles
originales à l’instar des prud’homies de pêcheurs). Cette transformation tend à
enlever le politique aux métiers, et à mener à une rupture dont on se
demandera, à partir d’exemples précis, si elle s’est manifestée partout au même
moment, selon les mêmes rythmes et les mêmes modalités, dans une conjoncture
marquée par l’importance croissante du rôle de l’État à l’époque moderne, mais
aussi par l’évolution sociale urbaine spécifique aux villes italiennes,
espagnoles ou de la France méridionale. L’introduction des « ouvriers »,
résultant de l’existence des ateliers et des chantiers, n’a-t-elle pas été
retardée dans le midi méditerranéen alors que la monétarisation de l’économie
urbaine casse la solidarité des métiers et que l’aristocratie des métiers tend
à se fermer dans nombre de places comme Venise ?
Les réseaux économiques ont-ils vraiment été
bouleversés et comment ? La fin du Moyen Âge connaissait les grandes
sociétés, les succursales, les facteurs et leurs correspondants comme le
soulignent des études récentes (Échanges
en Méditerranée médiévale, PUP, 2012). Assiste-t-on à une adaptation et à
une transformation des réseaux comme on semble le percevoir à travers l’exemple
de l’effacement de Venise et du rôle croissant de Marseille à l’époque moderne
en direction de l’empire ottoman ? Enfin, le Moyen Âge et l’époque moderne
sont marqués par la « colonisation » si l’on entend la domination
économique et culturelle et pas seulement politique et militaire. Ceci invite à
réfléchir sur l’intégration des villes dans un réseau d’échanges de toute
nature, réseaux dont les pôles sont méditerranéens (Gênes, Venise, Cordoue au
Moyen Âge, Lisbonne, Séville à l’époque moderne) : mais on doit se
demander si justement la colonisation n’a pas dans un premier (temps ????) défavorisé l’espace méditerranéen
car elle était tournée vers l’Atlantique.
3) Le champ urbanistique : ville
musulmane, ville byzantine, ville du monde latin
Aborder
les espaces urbains fonctionnels conduira à étudier dans l’espace méditerranéen
les liens entre les lieux de la puissance publique et les villes qui les
accueillent. Les exemples de Kairouan et du Caire appellent à se demander si la
scission entre la ville marchande et la ville politique est toujours de mise
pour la ville musulmane à l’époque moderne ? Par ailleurs, malgré leur
intégration dans l’État monarchique Grenade, Séville, Malaga et Cordoue ‑ qui
se signalaient par leurs conurbations ‑ ont-elles conservé un « paysage
distinct » des autres villes d’Espagne ? De la même façon les
villes italiennes à l’époque moderne s’adaptent-elles à l’urbanisme
médiéval ? Les exemples italiens de Venise, Gênes et des villes de condottiere amènent à voir si le
transfert de l’espace palatial hors du cœur de la cité vers la périphérie, du
centre vers les murailles, s’est perpétué au long de la période moderne en
croisant pour cela les lectures archéologique et urbanistique avec les lectures
idéologique et politique. Assiste-t-on à l’émergence d’un nouvel ordre urbain,
à une rupture de l’héritage ?
Le tissu urbain, réorganisé par le réseau des églises
au Moyen Âge, subsiste-t-il à l’époque moderne dans l’espace méditerranéen et
est-il différent ce celui du reste de l’Europe ? Dans les zones
méditerranéennes chrétiennes, les citadelles
médiévales constituent un réseau de forteresses, centres de la vie militaire.
Si la ville médiévale, qui se ferme par une enceinte, a rompu avec la ville
antique ouverte, la ville moderne en détruisant l’enceinte rompt avec la ville
médiévale : est-ce pour autant un éternel recommencement, une rupture brutale
ou bien la ville moderne naît de la citadelle médiévale ? La ville médiévale, qui se
« réurbanise » par l’extension de faubourgs suburbains, ne
préfigure-t-elle pas la ville moderne ? Toute l’Europe enregistre une
croissance urbaine, et dans la zone romanisée, les antiques civitates débordent de leurs murailles,
mais est-ce exactement selon le même processus qu’ailleurs ?
Les formes d’urbanisme sont également renouvelées par
l’évolution des rapports sociaux : la différenciation sociale,
l’appartenance ethnique, la nature des métiers, les parentèles, la religion,
l’exclusion façonnent-elles des quartiers spécifiques dont les caractères sont
renforcés à l’époque moderne ? Par ailleurs, à des degrés divers et selon
des chronologies différentes, l’espace urbain connaît à l’époque moderne des
améliorations qui visent à assainir les rues, à améliorer la qualité des eaux,
à assurer l’évacuation des eaux usées (constructions d’égouts), à lutter contre
les risques (incendies, épidémies) : il faudra étudier comment ces
objectifs laissent leurs marques dans le tissu urbain.
4) Le temps ou « les temps »
Peut-on
parler de sédimentations urbaines ? La ville antique constitue-t-elle une
première strate du développement urbain ? Il faudra examiner comment la forme de l’habitat transmise de
l’époque antique au Moyen Âge se retrouve aux temps modernes qui apportent
toutefois nombre de variantes, d’adaptation et voir si les édifices liés aux
loisirs (gymnases, théâtres) comme les marchés appartiennent à un « patrimoine
méditerranéen urbain » et quel fut le rôle du Moyen Âge : un temps de
rétraction urbaine uniquement et partout ? Et alors que dire de la ville
musulmane ? Est-ce que la ville
moderne a renoué dans tout l’espace méditerranéen avec la ville antique
ouverte?
Le temps politique et le temps religieux n’offrent pas
de continuité de la ville médiévale avec la cité gréco-romaine. Il n’y a pas
davantage de continuité entre la ville moderne et la ville médiévale au niveau
politique. On connaît le rôle « politique » des villes au Moyen Âge.
Il faudra souligner comment il glisse progressivement entre les mains des États
modernes et quelles furent les grandes étapes. On rappellera notamment
l’ascension des juristes qui se prolonge en partie à l’époque moderne alors que
les villes sont intégrées dans un système politique, celui des États. Mais
n’existe-t-il pas des contre exemples ? Constantinople a-t-elle connu
une période médiévale ? Les biographies urbaines montrent qu’il n’y a pas
« une réalité urbaine » mais plusieurs types de villes qui ont plus
ou moins connu l’accumulation des « temps » antique, médiéval pour
aboutir à l’époque moderne. La ville moderne qui succède à la ville musulmane
de l’Espagne du sud a- t-elle grand chose à voir avec celle qui succède aux castra ? Et celle qui prend la
suite du Quattrocento avec Londres ou Paris ? Transformation ici, rupture
là. De même, la ville moderne ne reprend-elle pas les apports médiévaux, voire
plus anciens, en les adaptant, en les transformant ? Il n’y a pas
continuité, mais héritage.
Des permanences peuvent être pourtant pointées à
travers le choix du site ; il en est de même des rythmes urbains (temps
hebdomadaires, annuels, civiques, festifs, laborieux, religieux) et des
« nouvelles formes de sociabilités » (académies,
cercles, loges maçonniques, confréries, théâtre). Mais là se pose une autre confrontation,
à savoir celle de la ville musulmane avec la ville chrétienne. Ont-elles
quelque chose de commun ? Ne doit-on pas alors penser, encore plus
qu’ailleurs, en termes d’héritage ? Ne faut-il pas distinguer les aires
musulmanes qui s’européanisent dans l’empire ottoman comme c’est le cas avec
Salonique à l’époque moderne et la multiplication des écoles. L’influence et le
poids de la communauté juive expulsée d’Espagne, ceux des marchands occidentaux
‑ Vénitiens puis Marseillais ‑ participent également à ce mouvement.
Les articulations entre la période médiévale et
l’époque moderne sont-elles distinctes dans l’espace méditerranéen ? Le
passage de la commune urbaine médiévale à la ville moderne peut être pour cela
un excellent terrain d’observation. Cette émancipation s’est accompagnée d’une
culture politique et de l’exercice du pouvoir par la « bourgeoisie ».
Aussi, une réflexion s’impose : dans quelle mesure l’impulsion a-t-elle
été donnée par les villes du Sud ? Quand a eu lieu la rupture de l’époque
moderne, si rupture il y a eu, c’est-à-dire changement brutal et soudain ?
Qu’est-il resté en héritage dans la représentation que la ville avait
d’elle-même à l’époque moderne ? Un patriotisme ? Une mémoire des
lieux ?
La mémoire des lieux occupe une place importante dans
l’espace urbain. Il faudra examiner comment les acteurs sociaux et politiques
ont retraduit dans les discours les anciennes chroniques urbaines, ont capté
leur héritage et l’ont parfois instrumentalisé pour le mettre au service
d’ambitions collectives ou individuelles. L’histoire plus ou moins mythique des
origines de la cité, avec célébration et rituels civiques, peut favoriser la
cohésion du groupe ou asseoir la domination de quelques-uns.
Les interventions se répartiront dans les quatre axes
énumérés :
Axe 1 : L’espace
Axe 2 : Les
dimensions économiques de la ville
Axe 3 : Le
champ urbanistique: ville musulmane, ville byzantine, ville du monde latin
Axe 4 : Le
temps ou « les temps » des villes
Le comité scientifique du colloque est composé de :
Thierry Allain (Université Paul-Valéry - Montpellier 3)
Anne Brogini (Université de Nice Sophia-Antipolis)
Gilbert Buti (Université d’Aix-Marseille)
Noel Coulet (Université d’Aix-Marseille)
Stéphane Durand (Université d’Avignon et pays du Vaucluse)
Lucien Faggion (Université d’Aix-Marseille)
Antoine-Marie Graziani (Université Pascal-Paoli)
Philippe Jansen (Université de Nice- Sophia Antipolis)
Wolgang Kaiser (Université Paris I - EHESS)
Élisabeth Malamut (Université d’Aix-Marseille)
Brigitte Marin (Université d’Aix-Marseille)
Paolo Odorico (EHESS)
Mohamed Ouerfelli (Université d’Aix-Marseille)
Christophe Picard (Université Paris I)
Olivier Raveux (Université d’Aix-Marseille)